Notre caravane récupérée à Vigneulles, nous roulons direction Bayon.
Elle sera bien, sur la place du marché, juste devant le château et à côté de l’école.
Il y a de beaux contrastes.
Nous trouvons notre camp de base dans la salle polyvalente située un peu plus loin.
Madame le maire nous accueille très chaleureusement et nous laisse les clefs pour cette semaine particulière : nous attendons notre ami Pierre Pilatte, qui vient spécialement des Cévennes pour nous faire travailler. C’est un artiste de rue, un clown qui cache bien son jeu. Nous l’invitons pour qu’il nous guide dans notre duo à travers les rues et les places de Bayon. En attendant son arrivée, nous arpentons le bourg pour repérer les espaces, les places, les rues, les lieux où nous pourrons intervenir. Il y en a pléthore. La journée passe vite et puisque cette semaine nous dormons sur place, nous trouvons notre gîte en fin d’après-midi et accueillions Pierre après sa très longue journée de train. Nous lui avons demandé de faire le « regard extérieur » ( comme on dit dans notre jargon) sur le duo de rue qui est né sur la CC3M, celui-là même qui arpente les villages depuis l’arrivée de la Covid. Soit dit en passant, nous avons appelé ce duo « CHICANE, fanfare de poche à feu et à son ».
Le mardi, et comme tous les jours de la semaine, nous nous échauffons le matin dans la salle polyvalente, faisons des jeux et des exercices proposés par Pierre et dès que la météo nous le permet, nous sortons expérimenter dans l’espace public. A l’écoute de la ville, des sons, Pierre nous invite à habiter notre corps en lien avec l’extérieur. A marcher, marcher, marcher, danser peut-être, à poser nos instruments, à créer des situations, avec l’espace, les gens, et surtout entre nous deux... Être toujours simple sans trop fabriquer, à penser le temps en forme de rupture, de tension, de détente, d’arrêt, de surprise, de rebond, mais surtout à « tenir » les propositions car on a tendance à « zapper » vite !
Le mercredi, nous travaillons autour et dans le marché. Celui-ci est petit et très calme. Nous nous mettons au diapason de cette ambiance pour faire une improvisation d’une heure et demi, alternant entre le centre et la périphérie de ce rendez-vous hebdomadaire. L’espace de la place étant très riche, avec ses endroits vides, la route très passante, son mobilier urbain très présent, nous papillonnons avec notre corps et nos sons en tentant de ne pas chambouler la tranquillité du marché... Nous nous apprivoisons mutuellement.
L’après midi, nous allons sur la place du collège-lycée et partageons l’espace avec un groupe d’une dizaine de filles. Nous sommes « chez elles » . Elles nous laissent rentrer dans leur espace (public !) pour faire nos bizarreries et encore une fois, nous nous apprivoisons. Sans s’adresser la parole, juste par les regards, les prises d’espace... Petit à petit, nos improvisations prennent de plus en plus de place et c’est devant un petit public de parents et d’enfants curieux que nous finissons cette journée bien remplie.
La météo bien que très changeante toute la semaine (petite pluie, averse, giboulée, soleil...) nous a permis de passer entre les grosses gouttes. Les gens ont l’air très heureux de voir du mouvement, de la musique, et des artistes dans ce climat si particulier. Nous sentons des sourires sous les masques, des pouces se lever aux fenêtres, des klaxons bienveillants de voitures qui passent, des familles qui sortent sur le trottoir pour profiter de notre présence, des questions, des soutiens. La cohabitation est chaleureuse et nous pouvons travailler avec tranquillité.
Le jeudi, nous accueillions nos deux amis chercheurs universitaires qui suivent la résidence, et après s’être échauffés, nous allons devant la mairie. Un espace plus clos, jardin et petit parking. Nous travaillons en solo et l’autre regarde, puis imite. Pierre nous invite à connaître les forces et les faiblesses de chacun, mieux se connaître pour mettre les fragilités et les différences en exergue. Nous avons nos morceaux de musique qui sont plus où moins existants, tout le reste est à inventer seconde après seconde. Alors on parle « d’écriture instantanée » où il faut être très connecté et savoir parfois prendre la place, et parfois la laisser. Nous cherchons une tranquillité intérieure qui nous permette de rester poreux à tout ce qui se passe et qui est déjà là.
Le reste de la journée, nous travaillons à arpenter la ville en jeu. Le déplacement d’un point vers un autre. Toujours inventer et explorer en étant en lien. Nous finissons sur la place du marché pour une improvisation sur la route. Un public s’est formé et nos propositions prennent de l’ampleur, cela devient comme un spectacle. Le regard des gens nous invitent au spectaculaire. Comment rester toujours tranquille, alerte, ouvert et force de proposition ?
Le lendemain matin, nous cherchons chacun un endroit pour dire une poésie. Essayer les mots aussi. Nous nous faisons une surprise en s’invitant mutuellement dans notre lieu choisi. La nature juste en contrebas du château pour l’un, l’arrêt de bus avec son caniveau et son pilier électrique pour l’autre. La journée passe vite et nous quittons Pierre qui s’en retourne vers le sud. C’est chaleureux.
Il nous aura bien accompagné, chamboulé, et ses retours nous ont énormément fait avancer. A nous de continuer le chantier !
Nous avons rencontré beaucoup de gens tout au long de la semaine. Croisés au hasard de nos pérégrinations ou venus pour nous rencontrer, puisque notre visite nébuleuse était annoncée. Notamment sur le grand panneau électronique de communication de la ville : « Toute la semaine, la Cie Brounïak animera les rues de Bayon ! ». Et c’était vrai ! Pierre qui travaille depuis très longtemps dans l’espace public nous dit qu’il est normal que le temps passé à discuter avec les gens occupe 25% du temps.
Nous partageons ici un extrait d’un texte de théâtre de Peter Handke que Pierre nous a transmis. Ce texte lui a servi de boussole pour créer et jouer son solo « Parfait état de marche » et raisonne particulièrement avec notre résidence sur la CC3M : PAR LES VILLAGES Joue le jeu. Menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n’aie pas d’intention. Évite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire. N’observe pas, n’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable. Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l’espace et considère chacun dans son image. Ne décide qu’enthousiasmé. Échoue avec tranquillité. Surtout aie du temps et fais des détours. Laisse-toi distraire. Mets-toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n’y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis. (Extrait de Par les villages, pièce de Peter Handke)
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